Il est probable que le château disposait d´une vue imprenable sur l´ancienne tour à signaux de Magnan, mais la position exacte de cette tour est encore obscure. Cette zone à l ́ouest de Nice a été jusqu ́au 18ème siècle une zone dangereuse: loin des défenses de la Ville, à la frontière entre la France et le duché de Savoie. Les habitants devaient se protéger aussi des incursions de barbares venus faire des « razzias » d ́esclaves qui étaient vendus sur les places de Tunis, Bougie ou Alger (la dernière invasion eu lieu en 1814).

Le château de la Tour Sarrasine, ou château de mont rabeau, a été construit sur une ancienne ferme, partie d´un grand domaine, indiqué sur le cadastre napoléonien: le domaine Sasserno.

Le dernier propriétaire connu du domaine est Adolphe Sasserno, qui comme son voisin Aimé Martin, était négociant d ́huile, au 24 rue Saint-Francois de Paul, à Nice. Ceci laisse supposer que le domaine servait principalement à l ́exploitation des oliviers. D ́ailleurs, on trouve sur les cartes du cadastre napoléonien (1890), en plus de la villa Sasserno, un moulin à huile (transformé plus tard en une habitation au 19 avenue Mont-rabeau).

Les parcelles cadastrales de l ́époque (différentes de celles actuelles) sont listées dans des documents d ́archives, et nous avons pu reconstituer les limites du domaine à la fin du 19eme siècle.

On peut ainsi y découvrir une description des parcelles: type de plantation, puits, jardin, maison, etc…. et des chiffres qui correspondaient aux revenus des parcelles (servant vraissemblablement à l ́ Administration pour la collecte de taxes).

Derrière le château (maintenant de l ́autre côté du Bd Edouard Heriot), il y avait des vignes et des bois. Le talus du château (au dessus des 20 à 48 av. Mont-rabeau) était planté d ́oliviers. Et la parcelle de l ́actuelle résidence Mont-rabeau était plantée d ́orangers, etc… 

Alexandre Seignette, rentier, rachète le bien en 1882. Il décède le 5 mars 1898. N ́ayant pas de descendants directs, ce sont ses frères et soeurs qui héritent en indivision. Le tribunal civil de Nice décide la vente aux enchères du bien, et l ́adjudication (attribution du bien après enchères) a lieu le 12 avril 1899 au profit de M. Pinchon (Saint-Cyrien de la promotion de 1872, capitaine en retraite), pour la somme de 93500F.

Une publication sur les châteaux nicois rapporte que le château a été transformé en 1900 par l ́architecte Castel. Néanmoins, ces éléments n ́ont pas pu être vérifiés par nous.

On sait qu ́à l ́époque, il y avait 3 constructions:
le château (sur cave) avec 2 étages, à l ́ouest, une construction à usage de commun, avec rez de chaussée et un étage servant de grenier et un bâtiment avec grenier servant de remise. Certains actes et témoignages parlent aussi d ́écuries et de serres. De plus le domaine disposait d ́un puits et de trois réservoirs. D ́ailleurs, en 1907, Mme Pinchon vendant un terrain contenant un des réservoirs le fera démonter par l ́acheteur et remonter sur son terrain.

En 1899, l ́avenue Mont-rabeau, telle que nous la connaissons n ́existait pas. En ce qui concerne la partie aval de l ́ avenue, il y avait un chemin qui passait le long du talus, ce qui correspond au bout des jardins des maisons situées à gauche (du 1 au 17 av Mont Rabeau). En 1900, ce chemin était une indivision entre le domaine Sasserno et Roassal (à l ́origine du lotissement Vérani).

Ce chemin débouchait sur la cours d ́un moulin (le 19 avenue Mont-rabeau), qui était aussi doté d ́un grand réservoir d ́ eau. Le RDC du moulin était lui aussi en indivision avec Roassal.

Il y avait ensuite plusieurs chemins, dont 3 permettant d ́accéder au château et un vers la propriété voisine de M. Aimé Martin. Deux de ces chemins correspondent à la Vallière, et la deuxième partie de l ́av Mont-rabeau, même si ce tronçon fût modifié dans les années 1920 (en – – – – orange, les avenues actuelles).

Les pinchons procéderont à deux acquisitions pour compléter leur domaine:

En mai 1900, l ́acquisition auprès de M. André Ugo (« coiffeur de dames demeurant à Rome), d ́une parcelle, anciennement du domaine de Roassal, correspondant au début de la voie, et englobant les parcelles actuelles de 3 à 15 et 2 à 10 avenue Mont-rabeau.

Enfin, il feront l ́acquisition en août 1900 de la moitié de l ́ancienne avenue Mont Rabeau et de la moitié du moulin, qui était en indivision avec Albert Verani, héritier du domaine de Roassal.

Ce dernier, héritier d ́oeuvres du peintre nicois Clément Roassal, fera don à la Ville de Nice d ́huiles et d ́aquarelles (dont certaines sont exposées au musée Masséna), et sera immortalisé sur les photographies de Victor de Cessole lors de leurs ascensions des plus hautes montagnes des Alpes du Sud.

Limite du domaine en 1900:

A partir de ce moment, le domaine des Pinchon englobe:

– l ́avenue Mont Rabeau actuelle

– les parcelles des résidences des Almadies et Mont Rabeau

– l ́allée des lions et une partie du parking en haut

– la résidence de la Tour Sarrazine

– les parcelles autour de l ́avenue de Saint-Jacques, etc… (limites bleues).

Le 18 juillet 1904, M. Charles Pinchon décède. Cela marque le début du morcellement du domaine avec un total de 48 ventes de parcelles, et une quinzaine d ́autres actes (servitudes pour l ́eau, le gas, l ́electricité, promesses de ventes, des droits de passage, etc…).

Ces ventes seront orchestrées par Madame Pinchon, et son fils, jusqu ́au 12 juin 1926, date du décés du fils Pinchon. 

A partir de cette date, Madame Pinchon continuera de céder des parcelles, et créera le lotissement « Pinchon de Douchy » (situé autour de l ́avenue Saint Jacques). Les premiers lots vendus (lot 1 et 2) le seront à Madame Gimello, épouse d ́un certain Piccioloni, futur promoteur de la résidence de la Tour Sarrasine.

Les grandes étapes du morcellement du domaine Pinchon:

La première vente a lieu en 1904, année du décès de M. Pinchon. Il s ́agit du moulin (19 av Mont-rabeau). A cette époque, l ́avenue n ́a pas été percée. L ́eau n ́est pas installée, mais le moulin dispose d ́une grande réserve d ́eau.

1905: C ́est approximativement l ́année qui marque le « percement » de l ́avenue Mont-rabeau, et de la Vallière. En 1907, Mme Pinchon signe une convention avec la Compagnie Générales des eaux pour cette première partie d ́avenue (qui correspondrait à la zone du 1 au 19 av. Mont-rabeau), et la même année, elle s ́entend avec M. Castel, propriétaire de la Villa aimé Martin (parcelle du château de Miléant) pour relier l ́avenue Aimé Martin à l ́avenue de la Vallière.

Un chemin permet toujours de relier cette nouvelle voie au château Mont- rabeau, mais aussi à la future villa Mirador qui sera construite à la même periode par l ́architecte Chemin sur une parcelle vendue en 1905. 

Cette villa appartiendra plus tard (dans les années 20) à un banquier américain Talbot-Taylor, qui après un divorce très médiatisé aux USA, viendra s ́installer à Nice avec sa seconde épouse, Marie Zane., dont les journaux de l ́époque diront qu ́elle est une « briseuse de ménage ». Il renommera la villa Chanteclaire. Il y décèdera en 1938. Cette maison fut rasée dans les années 1960 pour y construire la résidence Chanteclaire, à 100m du bout de notre avenue actuelle.

A partir de 1921, Mme Pinchon et fils enchainent les ventes de parcelles. A cette époque, elle souhaite vendre son château. Elle n ́y habite d ́ailleurs plus depuis longtemps, pratiquement tous les actes indiquent une adresse à Nice, rue de Russie. C ́est un gendre, le comte de Montalembert qui parait-il y loge.
Son fils décéde en 1926. En 1935, elle fait une grande donation (incluant la moitié de son château à l ́ association des orphelins apprentis d ́Auteuil). En 1940, elle rédige son testament et institue pour légataires universels 8 personnes (probablement neveux, nièces, …). C ́est finalement dans son château de Mont-rabeau qu ́elle décède le 3 juin 1944.

Cession des héritiers:

La dernière vente signée par madame Pinchon en 1941 le sera avec M. Piccioloni, pour les lots 1 et 2 du lotissement « pinchon de douchy » créé en 1927 (au nord de l ́avenue Saint Jacques).De son vivant, elle refusera de concrétiser une promesse de vente qu ́elle avait accordé à M. Piccioloni pour les lots 3 à 8 du lotissement.

Mme Pinchon décédée, M. Piccioloni obtiendra en 1955 des héritiers la réalisation de cette vente et l ́achètera, en nom propre et avec son épouse.

En 1954, il s ́entend avec les époux Fielding (domaine situé au niveau de la fac de lettres) pour acheter une parcelle correspondant à l ́allée des lions (achetée en 1920 par les Fielding au comte de Miléant)

 En mai 1955, il créé, avec des partenaires, la SCI Bd Carlone, qui achètera la même année, grâce à la Banque Nicoise de Crédit, les parcelles mise en vente par les héritiers qui, plus tard, permettront construction des résidences de la tour sarrasine, des Almadies et de Mont-rabeau. 

Conclusions:

L ́histoire de l ́avenue Mont-rabeau est assez classique à Nice. Cette avenue résulte du morcellement d ́un domaine privé, au début domaine agricole (oliviers), puis racheté par des personnes plus fortunées. Néanmoins, bien qu ́issue de la bourgeoisie, Madame Pinchon ne peut être comparée à certains de ses voisins, extrèmement fortunés, souvent étrangers, ayant construit des palais magnifiques, malheureusement démolis depuis. 

On découvre aussi à quel point la côte d ́azur a attiré des personnages amoureux du luxe, et parfois capables des pires manoeuvres pour s ́enrichir et paraître. D ́ailleurs en 1888, le guide bleu présente Nice: « Comme toutes les villes de saison, Nice est le champ de manœuvres d’un tas de scélérats en habit noir. Les noms ronflants cachent bien souvent des rastaquouères de la plus belle espèce».

En effet, notre étude nous a permis de découvrir le Comte de Mileant, né en Crimée, qui constitua son domaine à crédit, épousa et ruina deux veuves argentées, renia ses enfants adoptés et dont le domaine fini vendu aux enchères en 1930. On constate à la lecture de ces actes anciens qu ́il n ́était pas rare, dans ces temps, de mourir après ses enfants, sans héritiers directs.

Aussi, on reste sans voix, à la lecture d ́un acte de 1944 dans lequel vendeur et acquéreur, se conformant à la loi, déclare « ne pas être juif ».

Et, il y a des anecdotes plus drôles: une publicité du Professeur Sioul dans le Paris-soir de 1923, dont la photo ne semble pas des plus scientifique!

Mais plus sérieusement, on apprend que le cinéaste et écrivain Roger Dessort, membre de la société des Lettres, Sciences et Arts, habitait dans les années 30 à la Villa Saca, au 15 av Mont-rabeau.

 

 

Oriabel Baumgartner, dans le cadre des travaux pour l´ASL Mont Rabeau